Mathias Waelli a enquêté pendant cinq ans sur le travail de caissière. Pour cela, temporairement (un an et demi au total), il s'est fait embaucher comme salarié sous contrat ou stagiaire dans différents hypermarchés d'un même groupe de la grande distribution. Parmi les caissières, il y a d'abord les « reines »... On appelle ainsi les femmes de 45 à 60 ans, qui sont d'abord mères de famille. Souvent, elles ont été embauchées vers l'âge de 20 ans, puis certaines ont arrêté pour élever leurs enfants. Et repris ensuite, une fois les enfants grands. Elles sont celles qui ont le plus de plaisir à travailler car elles ont à nouveau le temps de le faire. Ce travail est comme une sorte de récompense après une vie passée au foyer. Ce sont elles qui tiennent le collectif. Elles, aussi, qui portent l'histoire du magasin. Il y a aussi des étudiants et ce que vous appelez des « passagers clandestins ». Les étudiants (30 % en moyenne) s'accordent très bien des contrats à temps partiel et des horaires flexibles : ils bossent le vendredi soir et le samedi pour la plupart. Les passagers clandestins » (30 %) forment une population très éclatée. Ils ont en commun d'être arrivé là par accident et d'y rester par défaut. C'est parmi eux qu'on trouve les figures les plus précaires dont on a fait le symbole de la précarisation du travail. Temps partiel dans 98 % des cas, horaires flexibles... Subis ? C'est très ambivalent. On peut dire : « Les caissières font de nécessité vertu. » J'ai rencontré des femmes dont tout, dans le profil, montrait qu'elles avaient intérêt à travailler à plein-temps. Malgré tout, non, quand on leur proposait 30 heures par semaine au lieu de 20, elles refusaient. L'une d'elle préférait faire des ménages en plus pour ne pas avoir un patron tout le temps sur le dos et pouvoir s'octroyer du temps à soi-même. Une volonté que tous revendiquent. C'est assez emblématique des petits « bricolages » qu'on fait face aux horaires flexibles et qui font qu'on n'est pas tout le temps en train de subir, qu'on arrive à tirer, un peu, la couverture à soi. Évidemment, on s'adapte à une situation de départ pas génial, mais on arrive à se l'approprier. Les femmes aux caisses,les hommes dans les rayons ? Oui. Aux caisses, 90 % de femmes, du temps partiel, des horaires souples, de la solitude, pas de syndicat, pas de possibilité d'évolution. Dans les rayons, plutôt des hommes (60 %), des temps pleins, horaires fixes, un travail d'équipe et reconnu, mieux payé et des possibilités de carrière... Et, si les caissières sont visibles pour les clients, elles ne le sont pas pour la direction, qui ne vient à la rencontre des salariés que le matin, avant l'ouverture... Le travail en caisse a été conçu comme ça dans les années 60, comme un travail féminin, de complément. Depuis, cette idée est socialement intégrée par tous. Justement, il y a un fossé, la perception extérieure du métier et la manière dont il est vécu par ceux qui l'exercent. Vu de l'extérieur, on ne voit que l'aspect mécanique, assez routinier. Ce que disent tous les caissiers, c'est que l'intérêt du travail réside ailleurs, dans le relationnel. Bien sûr, la plupart du temps, les clients disent « bonjour et au revoir ». Mais ça va parfois plus loin. Pour les « reines », c'est l'occasion de parler avec d'autres femmes, comme elles. Pour les étudiants, au contraire, c'est l'occasion de rencontrer des gens très différents, pas issus des mêmes classes sociales, pas du même âge. Ils mettent tous en avant cette richesse, ainsi que la nécessaire capacité de s'adapter, gérer des situations d'agressivité. En cela, il me semble que l'on se trompe quand on compare le métier de caissière à celui d'ouvrier d'usine.
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