Elles risquent également cinq fois plus d’être victimes de violence physique que les gardes de sécurité de leurs hôpitaux.
Face à l’inaction des autorités du pays et de leurs patrons, les infirmières du Liban ont décidé de prendre leur destin en main.
« Le future des soins de santé est entre les mains des infirmières », c’est l’un des thèmes de la nouvelle campagne lancée par l’Ordre des Infirmiers au Liban sur sa page Facebook afin de promouvoir le métier d’infirmière auprès des jeunes Libanais.
Et pour cause, selon une étude menée par l’Université américaine de Beyrouth en 2012, deux infirmières sur trois souhaitent quitter leur poste après trois ans d'exercice. Un tiers d'entre elles, envisagent même quitter le pays.
« Les infirmières travaillent en première ligne dans les hôpitaux. Elles sont au chevet des patients 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Elles s’occupent également de tâches administratives telles que les paiements de factures des patients et doivent donner des mauvaises nouvelles aux familles, etc. Les infirmières sont donc très vulnérables », explique Mohammad Alameddine, professeur au département de management de la santé de l’Université américaine de Beyrouth et l’un des principaux responsables d'une étude intitulée: « Une enquête nationale sur la violence contre les infirmières au Liban: prévalence, conséquences et facteurs associés »
Infirmière pendant vingt ans et aujourd’hui directrice des soins à l’Hôpital gouvernemental de Tripoli, au nord du Liban, Rola el Hajj explique que la violence présente dans les hôpitaux est le reflet de la société libanaise.
"La situation s’est gravement détériorée avec la guerre civile entre 1975 et 1991. Aujourd’hui, la violence change en fonction de la situation politique. Chaque mois à Tripoli des combats éclatent entre des quartiers rivaux. Notre hôpital est en plein coeur de ces conflits. Il arrive parfois que des groupes d’hommes armés entrent à l’hôpital avec leurs blessés après une bataille. Ils bousculent tout le monde, brisent tout et agressent le personnel verbalement", raconte-t-elle.
La directrice de l’Ordre des Infirmiers(ères) au Liban Helene Samaha Nuwayhid abonde dans le même sens : "La raison pour laquelle les infirmiers et infirmières au Liban sont plus vulnérables qu'ailleurs est que nous travaillons dans un État en guerre. La violence est partout autour de nous. Les infirmières la subissent depuis si longtemps qu’elles croient que c’est normal et que cela fait partie de leur travail”.
La situation serait si préoccupante que les infirmières du pays ont décidé de s’attaquer au problème elles-mêmes. « Nous abordons maintenant le sujet de la violence à travers toutes les activités et séminaires que nous organisons dans le pays. Nous essayons également d’être présents dans les médias et de souligner l’importance du travail des infirmières, surtout lors de désastres ou des incidents comme les récents attentats à Beyrouth, durant lesquels les infirmières ont joué un rôle décisif dans la gestion des blessés » explique Helene Samaha Nuwayhid.
Selon l’étude de l’Université américaine de Beyrouth, une grande partie de la violence verbale dans les hôpitaux s'exerce de façon horizontale, c’est-à-dire entre collègues.
Le manque de reconnaissance interne de la profession d’infirmière serait l’une des principales causes du problème. Selon Nadine Ezzeddine, professeure en sciences infirmières à la Global University à Beyrouth et en charge du contrôle de la qualité à l’hôpital Dr. Monzer El Hajj à Jiyeh, au sud du Liban, les infirmières, dont 80% sont des femmes, sont souvent sous-estimées et dévaluées par les autres membres du corps médical.
« Les compétences des infirmières ne sont pas reconnues comme c’est le cas dans d’autres pays. Ici les médecins crient souvent après les infirmières et les utilisent comme bouc-émissaires. Ils refusent aussi de discuter de leurs cas médicaux avec elles » a-t-elle constaté. Elle ajoute : « Par ailleurs, il y a pénurie d’infirmières. Ces dernières subissent donc beaucoup de stress. Il y a également une culture de favoritisme et beaucoup d’abus de pouvoir sont commis par des infirmières en position d’autorité. Cela crée des conflits entre les infirmières elles-mêmes ».
Pour Helene Samaha Nuwayhid, la seule façon de protéger les infirmières est d’inclure des politiques de sécurité au travail dans les standards de qualité des hôpitaux.
« Un jour, un patient en colère m’a agressée. Quand je suis allée voir ma superviseure pour lui raconter ce qui m’était arrivé, elle m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire puisque le client a toujours raison », se souvient Nadine Ezzeddine.
Pour encourager les infirmières à briser le silence, Helene Samaha Nuwayhid et ses collègues ont récemment lancé une campagne nationale afin de sensibiliser les administrations des hôpitaux, et au delà tous les Libanais, au sort des infirmières.
L’Ordre des Infirmiers(ères) au Liban diffusera d’ailleurs bientôt deux spots publicitaires télévisés destinés à promouvoir leur savoir-faire et à dénoncer la violence dont ils sont victimes. Pour l’organisme, changer la perception de la profession d’infirmier-e au Liban serait la seule façon d’améliorer les conditions de travail de ces dernières.
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